Je viens de relire la loi HPST (pour ceux qui ne connaissent pas, sachez que c’est la loi qui vient de passer cet été et qui trace la route de comment fonctionnera notre système de santé demain ; les internautes curieux/pressés peuvent lire un résumé sur Wikipédia ou une synthèse sur le site du quotidien du médecin). Or, au delà de la loi elle-même, mon attention a été attirée par un article que je n’avais pas vu en première lecture :
Article 98, §I. – L’article L. 3511-2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Sont interdites la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit de cigarettes aromatisées dont la teneur en ingrédients donnant une saveur sucrée ou acidulée dépasse des seuils fixés par décret. »
N’étant pas juriste de formation, il m’a fallu un peu de temps pour traduire cet d’article, qui revient finalement à sonner le glas des bonbons en forme de cigarette. Ce qui m’amène deux remarques.
Le fait de jouer à l’adulte en fumant « pour de faux » des cigarettes au chocolat incite-t-il réellement les enfants à fumer ? Ayant fumé très jeune, et ayant effectivement joué à faire semblant de fumer, je peux au moins vous parler de mon expérience. Si je n’avais pas eu de cigarettes au chocolat, me serais-je abstenu de fumer ? Et bien non. Si j’ai fumé, c’est avant tout parce que la gestuelle de fumer était inscrite dans ma tête comme une gestuelle d’adulte (il y a aussi l’autre raison « faire comme les copains » , mais qui en ce qui me concerne était plus anecdotique). Autrement dit, à cause des exemples que j’avais autour de moi (famille, TV, etc.), j’avais comme idée symbolique : « adulte = fumeur » . Et si je n’avais pas eu de cigarette en chocolat pour « jouer à l’adulte », je me serais confectionné des cigarettes en bois avec du papier autour (chose que j’ai dû faire d’ailleurs), et ça ne m’aurait pas empêché de fumer. Je suis sûr que la loi interdisant de fumer sur les plateaux de TV (qui chasse plus efficacement l’idée du « adulte = fumeur » ) a été bien plus utile que ce pétard mouillé.
Mais au delà de l’efficacité de cet article, je m’interroge plus sur sa légitimité. Est-ce le rôle de l’état de moraliser un bonbon ? Oh, je ne suis pas dupe. Les lois de notre république prônent le sport, tolèrent le tabac et la cigarette, et elles interdisent le cannabis et autres substances narcotiques (alors que les médecins vous diront que tous ces comportements, poussés à l’extrême, peuvent devenir addictifs et peuvent être classés comme drogues, pas très bonnes pour notre santé). Les raisons de cette tolérance arbitraire ? La France était cultivateur de vignes et de tabacs, mais n’avait traditionnellement pas de plantation de chanvre (ou si peu). Et pour un gouvernement donné, revenir sur ce choix nécessiterait une politique forte, lutter contre des lobbies puissants, et se retrouver face à un manque à gagner certain (vus les niveaux de taxation de ces produits).
L’état a-t-il un devoir de prévention sur notre santé ? Je ne suis pas contre. Il est normal qu’on nous explique ce qui est bon pour nous, et ce qui peut s’avérer dangereux. Mais au delà de cette mission pédagogique, a-t-il le devoir de légiférer pour nous interdire ce qui nous nuit ? Instinctivement, je suis toujours méfiant de tous ceux qui veulent notre bien malgré nous. J’aurais donc tendance à dire qu’il faudrait nous expliquer les risques, puis nous laisser juge. Pour autant, ces grandes théories que j’ai sur l’éducation et la « responsabilisation » de l’individu tient pour des personnes conscientes et responsables. Or, l’article vise à protéger les enfants. Et pour les enfants, tant qu’ils ne sont pas capables de se protéger, c’est notre devoir d’adulte de le faire, ce qui passe aussi par l’interdiction. Au moins jusqu’à ce qu’ils sachent comprendre les conséquences de leurs agissements.
Interdire les drogues aux enfants, et tenter de les protéger par la prévention, c’est entendu. Mais je repose la question : est-ce le rôle de l’état de le faire, en légiférant ? Sur le fond, non. Je pense que c’est le rôle des parents. Or… il semblerait qu’en la matière, certains parents ont démissionné. Oh, loin de moi l’idée de dire que c’est une nouveauté. J’entends souvent des phrase du style « Maintenant, les parents, ils ne s’occupent plus de leur gamins » . Et avant ? Quand les pères bossaient 12 heures par jour 6 jours par semaine, et que les mères étaient au lavoir, dans les champs, aux ménages et à la cuisine ? La mission d’éducation pouvait là aussi laisser à désirer. Les parents alcooliques et ceux qui abandonnent leurs enfants, ça a toujours existé, et je n’ai pas l’impression que la situation soit pire aujourd’hui.
Alors, est-il plus légitime aujourd’hui qu’auparavant que les textes de loi se substituent à l’éducation parentale ? Ou bien cet article ne serait-il pas qu’une technique démagogique pour faire passer la pilule d’un autre article, qui, au contraire, va à l’encontre de l’idée de prévention, en autorisant la publicité en ligne pour l’alcool (sauf pour les sites ayant les enfants comme cible, tout de même) !
Article 97 : après le 8° de l’article L. 3323-2 du code de la santé publique, il est inséré un 9° ainsi rédigé : « 9° Sur les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle. »
Hummmm… Finalement, la vraie question, plutôt que de se demander si c’est le rôle de l’état de moraliser nos consciences, ne serait-elle pas de se demander si, en France, le lobby des producteurs d’alcool ne serait-il pas plus puissant que le lobby de l’industrie du tabac ?
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Est-ce que tu es sûr que ça parle des cigarettes en chocolat, et pas plutôt des vraies cigarettes aromatisées à outrance à la vanille par exemple, pour attirer un public jeune ?
@Celinextenso: tu as peut-être raison… Mais ça ne change pas trop le fond du problème : est-ce à l’état de légiférer, ou est-ce de la responsabilité des parents ? Et de toute façon, peut-on dans une même loi interdire la vente d’un produit toxique aux mineurs, et en autoriser la publicité sur le net ? C’est cette incohérence qui m’interpelle…
Attention, Manu, tu dérives vers l’anarchisme … 😉
@Fabien: ça n’est pas la première fois que tu me le dis, il doit y avoir une part de vérité 😉