Albert Camus – La Chute

Je ne sais pas pourquoi, j’avais classé Albert Camus comme un écrivain de la fin du 19ème siècle. J’avais oublié qu’il était si contemporain (il est mort juste 10 ans avant que je ne vienne au monde — si ça, ça n’est pas une remarque égocentrique 😉 –, et 4 ans après avoir écrit ce roman). De lui, j’avais déjà lu L’Étranger (je dirais « bof bof… », mais ayant lu cette œuvre à la période rebelle anti-littérature de la fin collège/début lycée, lecture imposée par des profs de français qui n’avais pas la vocation de vous insuffler leur passion — si tant est qu’ils l’avaient — pour la littérature… je suis certainement passé à coté de quelque chose), et plus tard La Peste (j’avais déjà mieux apprécié). Et c’est sur les conseils éclairés d’une lectrice assidue de ce modeste blog (coucou Firenze) que je me suis à nouveau plongé dans la bibliographie de ce romancier-essayiste-philosophe.

À noter que Camus, c’est avant tout un style. Spécialiste des néologismes et des oxymores (c’est de ce livre que viennent les célèbres expressions « il se hâte avec une sage lenteur » et « son mutisme est assourdissant« ), il use ici d’un style bien particulier : l’histoire est entièrement racontée à la première personne (y compris les dialogues, comme dans certaines pièces de théâtre), ce qui a tendance à nous plonger dans une ambiance bien particulière. Vous rappelez-vous du « Je ne suis pas folle vous savez » lancé par Florence Foresti dans sa parodie d’Isabelle Adjani ? Le fait qu’elle ait suffisamment de recul pour poser cette question, c’est qu’elle ne l’est pas non ? Mais à la voir et à l’entendre, elle l’est peut-être un peu, hum ? Et bien ici, de la même façon, le fait que l’histoire soit racontée à la première personne nous invite forcément à nous poser le même genre de question… Le narrateur va-t-il vraiment bien ?

Tout commence dans un bar d’Amsterdam, le Mexico City, emblématique de ceux qui ont du inspirer Jacques Brel. Le narrateur, Jean-Baptiste Clamence, y est un habitué. Il se définit comme un « juge-pénitent« , et aime ferrer ses proies parmi les touristes qui s’y arrêtent. Les bourgeois ont sa préférence. Et alors, effectuant son propre procès avec cynisme, il invite ses convives à faire de même, naturellement. Il commence par raconter son heure de gloire — sans faire preuve d’une grande modestie –, alors qu’il était un avocat reconnu. Puis il conte à ceux qui restent captivés par son récit ce qui l’a amené à quitter Paris où il exerçait, jusqu’à devenir pilier de comptoir d’un modeste bar. La victime, hypnotisée, n’a plus qu’à passer aux aveux de la médiocrité de sa propre existence.

Ce livre est bien évidement la description d’une descente. Mais pas d’une descente aux enfers, comme on pourrait l’imaginer. Ni le récit d’une dépression (bien que certains signes…). Juste la triste désillusion d’un homme qui, ayant atteint les sommets, se rend compte que le bonheur ne s’y trouve pas. Bref, une œuvre à lire absolument si on est un tant soit peu introspectif, avec les modes « curiosité » et « cogitation » réglés sur « ON ».

download Fond musical : Jacques Brel – Amsterdam

Commentaire

Albert Camus – La Chute — 3 commentaires

  1. Oh mais … quelle chute, non ? j’ai le sentiment que l’emploi du ‘je’, de la première personne, est justifié aussi parce que cet homme, tout en parlant de lui, parle aussi de nous, de chacun d’entre nous, ‘je’ peux comprendre, entendre ce que me dit Jean-Baptiste Clamence. Tiens je viens juste de me rendre compte (tant son nom apparaît peu dans le récit) que son prénom est composé de ceux de deux apôtres, deux ‘diseurs’ de ‘vérité’, deux rapporteurs de ‘faits’. Il nous renvoie à quelques fonctionnements humains pas des plus élégants ou des plus reluisants mais réels et évidents. Il nous les montre sous leurs aspects les plus noirs parce qu’il est cynique, tous ne le sont pas autant que cela …. Juste humains nous sommes, je ne suis pas Clamence et je clame mon droit à une certaine clémence. ^^

  2. @Firenze : en effet, Jean-Baptiste Clamence le dit lui-même : il utilise son histoire pour que les autres s’y identifient… et de la même façon, ce « je » de Camus veut que nous, lecteur, fassions de même. Des remarques sur l’humain ? Oui certes. J’ai noté celle-ci par exemple, qui me plaît bien :
    « Il s’agissait, notez-le bien, d’autre chose que la certitude où je vivais d’être plus intelligent que tout le monde. Cette certitude d’ailleurs est sans conséquence du fait que tant d’imbéciles la partagent.« 
    Ou encore  :
    « […] nous nous confions rarement à ceux qui sont meilleurs que nous.« 
    Ou enfin :
    « Il faut que quelque chose arrive, voilà l’explication de la plupart des engagements humains.« 
    Mais il n’y a pas que des choses sur l' »humain ». Il y a aussi des remarques pertinentes sur son époque, qui restent malheureusement on ne peut plus vrai 50 ans plus tard :
    « Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué.« 

  3. C’est drôle, les deux premières citations je les avais notées aussi. J’adore la première d’ailleurs, elle a le mérite d’être claire et juste je trouve, elle m’amuse. Quant à la troisième, je ne m’en souviens pas, je n’ai plus le contexte. Tu sais, ta lecture me donne envie de le relire une troisième fois, je suis sure que j’y découvrirai encore des choses.
    J’ai extrait quelques citations moi-aussi, de façon anecdotique et sur un tout autre sujet, elles sont sur ma page si cela t’intéresse.

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