Wikileaks pour les nuls…

En préambule, je tiens à préciser que si vous êtes un habitué d’Internet, un aficionado du tweet, le roi des feed RSS, il est probable que cet article vous soit totalement inutile. Auquel cas, passez votre chemin, je vous en prie. Sinon, j’ai essayé de « synthétiser » pour vous (si tant est que ce soit possible) l’actuel feuilleton de ce qu’on appelle maintenant l’affaire Wikileaks, ou affaire cablegates.

Wikileaks, cékoidonc ?

Qu’est-ce que Wikileaks ? Nooon, je n’ai pas dit Wikipédia. Si les deux noms de site partagent la même racine — et par conséquent initialement, le même concept — (wiki = site collaboratif dont les lecteurs peuvent changer le contenu des articles), Wikipédia est à l’encyclopédie en ligne ce que Wikileaks est à la transparence et à la liberté d’expression. Autrement dit, Wikileaks a déjà proposé sa réponse à la question « a-t-on le droit — et le devoir — de tout révéler au public ? » en publiant sur le net des documents souvent confidentiels, que les gouvernements (et plus précisément, que le gouvernement des États Unis d’Amérique) auraient préféré garder à l’abri du regard de monsieur Toutlemonde (corruption et détournements au Kenya, délit d’initiés de la Banque Kapthing, dissimulation de données liées à la recherche sur le climat, raids aériens foireux de l’armée US sur Bagdad, journaux de bords de l’armée US en Afghanistan, torture et autres crimes de cette même armée en Irak, etc.). Bref, Wikileaks dévoile, publie, et donc… dérange.

Mais même les détracteurs de Wikileaks ne peuvent nier le fait que ce site pose une vraie question, soulève un vrai débat de fond : le secret d’État est-il légitime ? Autrement dit, a-t-on le droit, pour des raisons d’État, de commanditer des crimes, d’arranger la vérité, de rendre secret des évènements, quand bien même ce soit pour la sécurité des citoyens ? J’exposerai probablement un jour mon point de vue à cette problématique dans un autre billet. Pour l’heure, je vous propose plutôt d’éclairer la méthodologie utilisée par ces mêmes détracteurs pour tenter de réduire au silence cet agitateur de la vérité.

L’affaire cablegate

Et des détracteurs, Wikileaks n’en manque pas. À commencer par tous ceux (souvent situés aux plus hauts sommets des états) que ces révélations dérangent. Or récemment, Wikileaks semble avoir frappé fort (ou avoir dépassé les limites, selon les points de vue) avec son opération cablegate, en publiant une grande majorité des 250’000 télégrammes diplomatiques récents classés secrets ou confidentiels des États-Unis (ceux classés top-secrets, concernant des informations militaires ultrasensibles, n’ont pas été diffusés), révélant ainsi tout les petits agissements vicieux (des USA et des autres pays) en matière de politique internationale.

C’est à partir de cette goutte d’eau qui a fait déborder le vase que tout est devenu bon pour abattre Wikileaks. Beaucoup ont dit que tout ce qui a été publié était connu… il n’empêche ! Entre entendre quelques ragots sur des petits trafics en sous-marin de nos gouvernements, et lire des preuves de tels agissements réalisés en toute décomplexion dans notre dos, ça ne sonne pas pareil.

Wikileaks, quicètil ?

Or, qui est derrière Wikileaks ? Si l’origine de la création de ce site est assez floue, on sait qu’il s’agit aujourd’hui d’un simple groupe ayant un noyau dur constitué d’une petite dizaine d’hacktivistes, à la tête duquel se trouve un homme devenu la bête noire à abattre de bien des gouvernements : l’australien Julian Assange.

Moult « coups fourrés » sont alors utilisés pour le faire taire et lui faire perdre sa crédibilité, même les plus gros qu’Audiard n’aurait pas osé faire jouer par les barbouzes de ses films, au risque de ne pas être crédible.

La première infowar de l’histoire ?

Dès que Wikileaks publie les premiers câbles confidentiels qui dérangent, la première réaction pour le faire taire est technique. Des attaques de type « dénis de service » sont organisées contre le site pour tenter de le rendre silencieux. Même en France, des actions de censure illicites par filtrage sont menées, comme cette risible tentative de censure sur le réseau du sénat ! Risible certes car évidemment inefficace, mais révélatrice d’une mentalité sournoise à la Big Brother…

Maintenant, il n’est pas si simple de faire taire un site web. En effet, il devient assez facile de répartir et dupliquer son contenu sur une multitude de serveurs connectés à Internet, répartis dans le monde entier (c’est le principe du « cloud » à la mode ces derniers temps, au point qu’il apparaît même dans des publicités TV grand public). C’est ce qu’a fait Julian Assange et ses acolytes, ce qui fait qu’aujourd’hui, vous pouvez accéder à des centaines de copies du site Wikileaks et à ses cablegates via des listes accessibles ici ou ici, ou sur une application dédiée aux mobiles, ou à travers un outils de recherche développé exprès et disponible ici (preuve que le cloud fonctionne, contrairement aux interrogations de certains).

Qui plus est, le web n’était pas le seul moyen de diffusion de ces fuites de télégrammes diplomatiques. Contrairement à ce qu’on aimerait nous faire croire, Julian Assange n’est pas un irresponsable qui a tout balancé dans la nature, exposant le monde au chaos, et mettant en danger la vie des gens qui travaillent dans l’ombre pour les services de renseignements, ou de ceux qui risquent leur vie dans des missions diplomatiques houleuses. L’ensemble des billets a été anonymisé. De plus, certains ont fait l’objet d’autocensures, pour ne pas compromettre la vie de personnes infiltrées. Et pour se faire aider dans cette opération d’autocensure, les 250’000 câbles avaient été envoyés au préalable à cinq grands journaux mondiaux : New York Times (USA), Der Spiegel (Allemagne), The Guardian (Royaume-Uni), El Pais (Espagne) et Le Monde (France).

Les barbouzeries

Mais les attaques envers Wikileaks ne sont pas que techniques. Classiquement, plusieurs attaques sont menées contre la reine de la ruche, à savoir Julian Assange lui-même :

  • tout d’abord, lui couper les vivres. Suites aux pressions du gouvernement étasunien, le compte Moneybookers de Wikileaks est gelé. Peu de temps après, c’est au tour de son compte Paypal. Puis récemment, celui du compte de la Banque Postale Suisse. Entre nous, qu’on ferme les comptes des organisations terroristes poseurs de bombe, ça me va. Celui des mafieux qui blanchissent l’argent de la drogue et de la prostitution, ça me va encore. Mais celui d’un site qui diffuse de l’information qui dérange, est-ce normal ? Le tout se faisant sans procès bien sûr ;
  • ensuite, on persévère dans la tentative de censure technique. Et là, le gouvernement français a montré qu’il savait très bien lui aussi lécher des bottes ! En effet, parmi le nuage de serveurs utilisé par Wikileaks pour répartir ses informations, un d’entre eux est hébergé en France par la société OVH. Dès qu’Éric Besson (ministre de l’économie numérique) est alerté, il demande dans une lettre écrite au Conseil Général de l’Industrie, de l’Energie et des Technologies « dans les meilleurs délais possibles quelles actions peuvent être entreprises afin que ce site Internet ne soit plus hébergé en France » (sic). Heuuu… Selon vous, dans un état de droit, un ministre peut-il faire fermer un site web, sans aucune action de justice ? Pour les sites pédophiles ou hébergeant illégalement des vidéos, oui (Cf. la très polémique loi de 2006 sur la confiance dans l’économie numérique). Mais concernant un site prônant la liberté d’expression… OVH n’a heureusement pas suivi. Tout a fait légitimement, cette société a demandé l’avis du « juge en référé afin qu’il se prononce sur la légalité ou pas de ce site sur le territoire français« . Ce qui est croustillant maintenant, c’est que le juge ne se prononce pas (et demande un débat de fond au législateur). Aussi, pour sauver la face, Éric Besson dément avoir voulu censurer Wikileaks ! On croit rêver… ;
  • enfin, pour finir de décrédibiliser l’animal, il n’y a plus qu’à agiter une affaire de meurs qui fait peur aux familles : on ressort juste au bon moment une affaire de viol ayant eu lieu en Suède. Qu’en est-il ? Julian Assange ne nie pas avoir eu des relations sexuelles consenties avec une fille en Suède. Si l’affaire n’était pas si pathétique, il serait amusant de constater que la fille ne nie pas elle non plus que le rapport était consenti ! Où est le problème alors me direz-vous ? Simplement que le préservatif a rompu (ou qu’il n’en avait pas mis alors que la fille aurait préféré, deux versions circulent sur le net). Quoi qu’il en soit, aussi incroyable que cela paraisse, en Suède, lorsque la situation s’envenime en cas de capote craquée ou pas mise, et que la justice est obligée d’intervenir, les faits sont qualifiés de… viol ! Je vous avais dit que les coups seraient bas. Étrangement, cette affaire a été traitée une première fois en août 2010 (pour être annulée quatre heures seulement après sa parution dans la presse). Et d’un coup, depuis la parution des cablegates, voilà que Julian Assange (qui n’est pas inculpé, on lui reproche juste de ne pas avoir répondu à une convocation de police en Suède) fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour ce même dossier (il vient de se livrer à la police britannique pour être entendu afin de résoudre ce désaccord à l’amiable, et sa demande de liberté sous caution a été refusée). Coïncidence ?

Quelle sera la fin du feuilleton ?

Impossible à dire. Suivre cette affaire, c’est comme regarder Dallas à la bonne époque : ça va de rebondissements en rebondissements. Imaginez que ce que j’ai essayé de vous résumer ici date de moins de quinze jours (les cablegates ont commencé à être publiés à partir du 28 novembre 2010).

Certains groupes (comme le groupe d’hacktivistes Anonymous) promettent des vengeances. D’autres groupes organisent des cyber attaques (le déni de service est à la mode ces temps-ci 😉 ) comme celle menée récemment contre Paypal, au risque d’envenimer l’infowar.

Dans le fond, on peut se poser la question de savoir si la popularité d’un site comme Wikileaks n’était pas inhérente au fait que les grands journaux ne font plus leur travail visant à révéler la vérité sur les états et leurs agissements. Mais une chose est sûre : il y aura un avant et un après Wikileaks. Certains blogs ont déjà listé les conséquences de cette affaire. Moi, je suis sûr que les procédures ayant pour objectif de garder secrètes les informations vont devenir drastiques dans les administrations et armées de bien des pays. D’autres procédures risquent aussi de voir le jour pour anticiper la publication de fuites, plutôt que d’agir en urgence comme le font actuellement les agences concernées. Mais malheureusement, je doute que de telles révélations fassent que les guerres tueront moins de gens (y compris parmi les civils), que les gouvernements arrêtent de bidonner les chiffres, qu’ils ne subissent plus la loi des financiers…

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Commentaire

Wikileaks pour les nuls… — 12 commentaires

  1. Merci pour ce « bref » résumé ;-)Si j’ai bien compris ce n’est que la saison 1, à quand la 2 ???? Et Big Brother en est le producteur? Ray Bradbury était plus que réaliste !!!!

  2. Pas de quoi, c’est pour une bonne cause. La loi européenne nous donne un droit d’action, le web nous offre la possibilité, alors agissons …. 😉

  3. @Firenze : comme Noam Chomsky, je pense qu’on ne combat pas des idées en empêchant les gens de les exprimer. Rien que pour défendre la liberté d’expression, il faut s’insurger contre la censure de WL. Sans compter… que reproche-t-on à WL ? De dévoiler des mensonges ! Julian Assange aurait-il été autant inquiété s’il avait dévoilé des secrets chinois ?

  4. Le président brésilien s’est prononcé contre cette censure et cette chasse aux sorcières organisée, Poutine l’a rejoint en demandant si c’était ça la démocratie, c’est l’hôpital qui se moque de la charité mais pour le coup …. il a bien raison. 🙁
    Et sur le lien de la pétition, les signature défilent à grande vitesse, en provenance du monde entier ou presque, c’est bien. 🙂

  5. @Firenze : oui, j’ai lu pour Poutine, je me suis bien gardé de relayer… en Russie, c’est une démocratie, on laisse les gens publier ce qu’ils veulent. C’est juste qu’on les empoisonne un p’tit peu, mais bon, c’est un détail… :o)

  6. Ah mais moi je relaie ! je trouve ça très fort de sa part. Comme je te disais c’est l’hôpital qui se moque de la charité, pour avoir vécu sur place je sais de quoi je parle. Mais comme dans l’absolu il n’a pas tort, c’est bien de savoir pratiquer l’auto-dérision je trouve. Parce le ‘détail’ dont tu parles, n’est-ce pas exactement ce que nous sommes en train de faire, nous dans nos belles démocraties affichées, crânes et donneuses de leçons ? 😉

  7. Firenze: tous les hommes d’état français (mais c’est souvent pareil dans les autres pays) ne condamnent qu’à demi-mot les dérapages des grandes nations (Russie, mais aussi Chine, USA, etc.). On aborde « les droits de l’homme », mais en marge de grandes discussions sur les gros sous (business is business). Alors derrière, même si une ou deux voix du peuple s’élève, ça ne fait pas beaucoup de bruit. Maintenant, tu as raison, soulignons l’autodérision de Poutine.

  8. Oui, je sais ça mais je ne pensais pas avoir dit le contraire.
    Par contre, je pense que c’est nous qui devrions pratiquer l’auto-dérision sur ce coup, savoir rire de nous et de notre belle ‘démocratie’.

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