Coup de gueule contre le débat politique qui a suivi le résultat du référendum !

DrapeauEuropeen.pngTout d’abord, ça n’est pas une surprise pour ceux qui me connaissent, j’ai voté NON au référendum concernant le projet de constitution européenne (enfin, c’est comme ça qu’ils ont appelé ce texte).

Aussi, comme beaucoup de Français ce soir, j’étais à 22h devant mon petit écran pour voir le résultat : 55% de NON, avec un taux de participation très important. Ca devrait être une victoire ? Mais c’est une victoire triste… où disons de demi-teinte. Je me souviens des élections présidentielles de 1981 (je n’avais pourtant que 11 ans à l’époque, j’étais loin d’avoir la majorité qui m’aurait permis de voter). Mais je me rappelle qu’à 20h, des gens sont allés dans la rue pour sabrer le Champagne, que les voitures passaient en klaxonnant… Or, ce soir, sauf si je suis devenu sourd ou aveugle : rien. Et il paraît qu’ils ne sont que quelques centaines à fêter ce résultat place de la Bastille. D’accord, l’enjeu n’était pas celui d’une élection présidentielle. Mais tout de même : il était à l’échelle non pas d’un pays, mais d’un continent !

Alors, pourquoi en demi-teinte cette victoire ? Parce que je me sens citoyen européen dans l’âme. Et pourtant, j’en suis arrivé à voter NON à un projet de constitution européenne. Il y a de quoi être triste, non ? Je suis rassuré tout de même : je ne laisserai pas à mes enfants une constitution créant une gouvernance proche d’un état totalitaire (une démocratie technocratique complexe, qui ne contrôle pas sa monnaie, qui ne peut quasiment pas être modifiée, qui ne propose qu’une seule forme de politique – l’ultra-libéralisme -, qui grave dans le marbre à tout jamais la liste de ses alliers militaires, qui n’intègre pas la laïcité, le dialogue social, et la protection de ses ressources et de son environnement dans ses piliers fondateurs… et je m’arrêterai là sur la critique).

Où est la raison de l’énervement qui mérite ce coup de gueule me direz-vous ? Il vient de l’écoute que je viens de faire des réactions aux résultats des différents cadres des partis politiques.

Je suis désolé messieurs les élites politiques. J’ai beaucoup discuté autour de moi avec les gens qui allaient mettre un bulletin dans l’urne aujourd’hui, en leur demandant leurs idées, et la raison de celles-ci. Et les causes du NON ne sont pas aussi complexes que vous voulez le dire. Si ce maigre échantillon constitué des gens avec qui j’ai discuté sur ce sujet est représentatif, alors, le NON a majoritairement deux causes :

  • vous avez les gens contre l’europe. Qu’ils soient nationalistes d’extrême droite, ou encore partisans de De-Villier (je ne suis pas spécialiste es politique : y a-t-il une différence ?), le résultat est le même : ils sont Français, et votent contre l’Europe, quel que soit le texte qu’on leur proposera. Mais bon, soyons lucides. Quelle est la part de cet électorat : 10 % des Français ? 15% ? Peut-être 20 % ? Quoi qu’il en soit, ils ont toujours existé (et ils étaient probablement encore plus nombreux au moment de Maastricht, ce qui n’a pas empêché le OUI de passer à l’époque). Ce ne sont pas eux qui ont fait pencher la balance ;
  • et il y a les gens pro-européens, qui ne voulaient pas de l’Europe qui leur était proposée. Pour les raisons déjà invoquées ci-dessus, et pour bien d’autres encore.

Alors, en faisant la somme des 45% d’électeurs qui ont voté "OUI", et la part non négligeable de ces gens qui sont européens dans l’âme, mais pas pour l’Europe qui leur était proposée aujourd’hui, ça fait une très forte majorité de citoyens prêts pour la construire, la constitution européenne. Pourquoi ces gens là n’ont pas été consultés avant ? J’y reviendrai.

Voilà comment, de mon point de vue, j’analyse le résultat de ce soir. Alors, je vous en prie messieurs et mesdames les élites politiques, arrêtez de marteler des propos que je qualifierai d’âneries (et ce, pour ne pas vous froisser, le mot contre-vérité convenant mieux à mon avis). Aussi :

  • NON, je ne suis pas contre l’Europe ! Et NON, il n’y a pas 55 % de citoyens contre l’Europe ;
  • NON, je n’ai pas, mais absolument pas peur. Arrêtez de dire que j’ai besoin d’être rassuré vis à vis de l’Europe !!! Cette phrase, que j’ai entendue de nombreuses fois ce soir – dans la bouche de meneurs politiques de bords pourtant différents -, est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, qui m’a fait prendre ma plume. Pensez-vous vraiment que je sois idiot au point que si on m’avait expliqué mieux les choses, si on m’avait raconté des paroles gentilles et rassurantes, j’aurais voté OUI ? C’est vraiment prendre l’électorat français pour ce qu’il n’est pas. Il a voté NON, pas parce qu’il avait peur, mais parce qu’il ne voulait pas du projet qu’on lui a remis dans sa boîte aux lettres ;
  • NON, je n’ai pas voulu sanctionner le gouvernement ! C’est incroyable ça ! Admettons que le projet de constitution ait été un très bon texte. Ou même seulement (je m’en serais contenté) un texte acceptable. Dès lors, croyez-vous vraiment que j’aurais voté NON à ce projet capital, qui m’engage moi, mes concitoyens, et mes enfants sur un sujet majeur, juste pour déstabiliser mon gouvernement, pour lui envoyer un message ? Bien sûr que si le texte avait été bon, j’aurais voté OUI ! Je ne dis pas que quelques électeurs aient pu faire un vote contestataire, mais leur nombre n’aura pas pesé lourd. Pour envoyer un message fort au gouvernement, je lui donne rendez-vous aux prochaines élections présidentielles et législatives ;
  • et enfin NON, je ne crois pas que les autres pays européens aient voté OUI. A ma connaissance, seul le peuple espagnol a voté OUI. Les autres états ont laissé s’exprimer leurs représentants. Or, regardons l’exemple français. Les députés français ont été interrogés sur leurs intentions de vote : une très grande majorité aurait voté OUI ! Or, rappelons que 55% des français viennent de voter NON. Il est indiscutable que sur ce sujet au moins, les représentants des Français à l’Assemblée Nationale ne représentent pas l’opinion de leurs électeurs ! Alors, quand j’entends que les Allemands sont pour ce texte constitutionnel, parce que leur assemblée l’a ratifié, ça me laisse rêveur…

Et maintenant, que faire ? Peut-être faut-il tout simplement faire aujourd’hui ce qu’il aurait fallu faire avant : écouter le peuple. Une constitution ne doit-elle pas être rédigée par une assemblée constituante, désignée pour ce travail, qu’elle réalise en écoutant les avis du peuple ? Or, aujourd’hui, les dirigeants européens écoutent plus les lobbies "finantico-industriels" que le peuple européen.

Avouons que c’est en partie la faute de ce dernier : lors de la plupart des élections européennes, le taux d’abstention est souvent indécent. Pour que le peuple soit écouté, encore faut-il qu’il s’exprime (j’espère – sans trop y croire – que la leçon aura été entendue ce soir par l’électorat : pour que vos élus vous écoutent, encore faut-il que vous vous exprimiez : allez voter).

Mais ce fort taux d’abstention n’explique pas tout : malheureusement, la puissance d’un grand groupe industriel ou financier a souvent plus de poids que l’électorat. Les moyens de pression utilisés sont rarement des intéressements financiers directs (la peur de se faire inculper pour corruption existe), mais sont souvent plus vicieux : le chantage par exemple. C’est du genre << Si tu soutiens mon idée/mon projet, je baisse mes tarifs dans les appels d’offres que tu lanceras dans ton pays sur les produits que je vends. Ou je délocalise des usines dans ton pays. Ou encore, si tu ne me soutiens pas, je ferme mes usines chez toi. Débrouille-toi alors avec tes chômeurs… >>. Je vous invite à reprendre l’historique du projet de loi sur les brevets logiciels, c’est affligeant : une écrasante majorité de l’assemblée parlementaire européenne lutte contre une poignée d’élus du Conseil Européen, pour que ce dernier ne passe pas en force un projet de loi légalisant les brevets sue les logiciels. Et le Conseil ne manque ni d’audace ni de culot, en proposant la signature en force de ce projet lors d’un conseil ayant pour thème… la pêche ! (rapport entre les poissons et les programmes informatiques ???).

Alors, NON, messieurs les penseurs de nos partis politiques, nous ne sommes pas hébétés et incompréhensifs devant les mesures ou les lois qui nous tombent dessus en provenance de Brussel. Bien sûr qu’on les comprend ces lois. Et même, nous comprenons à qui elles profitent ! Et ça n’est pas nécessairement aux citoyens européens (remarquez que j’utilise le terme de citoyen européen, je continue à y croire).

A lire entre les lignes du projet de constitution qui nous a été proposé, j’ai l’impression qu’une partie non négligeable de l’électorat a su reconnaître dans ce texte le fantôme de ces lobbies, qu’on ne connaît que trop bien. Si peurs et craintes il y a, c’est peut-être de là qu’elles proviennent.

Alors, tout le monde s’est accordé à le dire, la France est dans une situation délicate. Bien que pro-européenne, bien que devant rester fidèle à ses engagements passés, effectivement, elle met un frein à la construction européenne telle qu’elle commençait à se constituer.

N’est-ce pas justement l’occasion de proposer la conception, de cette assemblée constituante ? Afin qu’enfin, on ait un projet de constitution ouvert, qui laisse la possibilité aux citoyens de choisir leurs politiques, leurs représentants, ces derniers ayant alors la possibilité de choisir leurs alliers militaires, de jouer avec les leviers monétaires en contrôlant la banque centrale, de garantir la laïcité qui est la seule voie qui permettra à tous les citoyens, bien que de confession et d’idées différentes, de vivre ensemble en harmonie…

Dans les médias, le débat politique précédant le vote qui vient d’avoir lieu était d’une médiocrité affligeante. Depuis que j’ai ma carte d’électeur, c’est la première fois que j’ai connaissance d’arguments provenant directement du peuple, via les sites Internet (forums, blogs, etc.), dans la rue ou en discutant avec mes collègues, d’un niveau largement supérieur à ce qui pouvait être diffusé dans les différentes presses. Aucune des idées – reprises dans ce grief – qui viennent directement de l’électorat n’ont été reprises et débattues. Les seuls arguments étaient "il n’y a pas de plan B", "on va devenir les moutons noirs de l’Europe", "en cas de non, la France sera dans une position difficile", "ce qui nous est proposé n’est pas social, alors, caca prout (sans proposer autre chose)", "on ne peut pas être européen et voter NON"… Bref, du haut niveau de dialectique !!! Avec ce genre d’argument, on progresse…

Manifestement, à les écouter ce soir, ces chers présidentiables, ministrables, et autres têtes pensantes, j’ai peur qu’ils n’aient pas compris (à de rares exceptions près) ce qui vient d’être exprimé dans les urnes. J’espère que cette bouteille à la mer, lancée par un citoyen n’appartenant à aucun parti politique, mais qui se sent brimé et incompris ce soir, sera peut-être lue par un ou deux décideurs, et qu’elle aidera ces derniers à leur faire prendre conscience de certaines choses.

[article initialement posté le 30/05/2005 sur desvigne.org, remis en ligne après réinstallation du site le 23/07/2005]

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