Il est des moments où je suis content de vivre dans un pays où le cinéma d’auteur est subventionné, malgré les effets pervers du système. Parce que le film que je suis allé voir ce soir n’a rien de ce qui fait les superproductions qui sortent actuellement, promises à un nombre d’entrées indécent mais suffisant pour rembourser l’investissement colossale. Le film dont je vais vous parler est une petite production, petit budget, peu d’acteurs, plans faciles, réalisation simple, rythme agréable et pas trop violent. Et pourtant, quel chef d’œuvre ! Dans son registre, ce film est certainement au cinéma ce que le discours de la servitude volontaire de La Boetie est à la littérature : un incontournable (ceci dit, je n’ai pas lu « la joueuse d’échecs » de Bertina Heinrichs dont ce film est inspiré, sinon, peut-être que ce livre irait sur le même rayon que l’ouvrage du pote de Montaigne).
L’histoire est assez simple : une femme de ménage se prend à rêver en regardant un couple harmonieux jouer aux échecs sur le balcon de l’hôtel où elle travaille. Elle prend conscience de leur beauté, leur harmonie, leur simplicité et et le bonheur qu’ils éprouvent en sachant apprécier l’instant. Alors, elle décide d’apprendre ce jeu (avec une technique bien classique du « tien chéri, je t’achète pour ton anniv’ le truc dont je rêvais (en l’occurrence, un jeu d’échecs électronique) ».
Oui mais voilà. Quand on est dans un système où ceux qui vivent de leur labeur n’ont rien d’autre à offrir que du temps de travail pénible pour gagner un peu plus d’argent (par exemple pour envoyer sa fille en stage de langue en Angleterre), où les cogitations se limitent à essayer de deviner si son nom sera sur la prochaine liste du wagon des licenciés économiques, ça laisse peu de temps libre pour s’instruire, cogiter, lire, ou… jouer aux échecs. La culture et l’ouverture d’esprit peut elle rentrer dans une famille régie par la loi du « travailler plus pour gagner plus » ? Surtout dans une province (la magnifique Corse en l’occurrence, mais ça aurait pu être dans bien d’autres lieux) où le qu’en-dira-t-on trouve idiot de perdre son temps à apprendre à jouer à un jeu si abscons.
Servez cette étude par une Sandrine Bonnaire juste à souhait, un Kevin Kline qui joue un médecin à la retraite d’origine anglaise sublime en professeur d’échecs caustique… Ça nous donne un premier long métrage magnifique en provenance directe de Caroline Bottaro, qui pour la petite histoire, était la voisine de l’auteur dont elle a tourné l’adaptation.
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Oui oui oui.. j’ai vu et j’ai aimé aussi beaucoup…ces scènes de la vie où l’ordinaire le dispute à l’extra-ordinaire…où lutter prend tout son sens pour tenter de rompre avec le quotidien pesant, où le jeu (les échecs) offre quelques escapades… et des moments de rêve… qui redonnent du vivant à la morosité et à l’habitude…pour mieux se (re) découvrir… Sandrine Bonnaire est exemplaire !