Chomsky et compagnie

J’étais vendredi soir au Caméo pour la projection/débat autour du film « Chomsky & compagnie« . Noam Chomsky est un homme connu pour deux raisons. L’ex étudiant en informatique qui est en moi se rappelle de la théorie qu’il a élaborée, dite « des langages formels », avec sa notion de grammaire générative, et la classification des langages en quatre classes (les expressions régulières qui s’analysent avec les automates finis déterministes, les langages informatiques dont les langages LALR(n) qu’on parse avec des automates à pile, les langages context sensitive qui se scannent avec les machines de Turing à mémoire finie, et les hypothétiques langages naturels qui ne peuvent être analysés qu’avec des machines de Turing à mémoire… infinie). Ouaou, je m’étonne moi-même de vous citer ça par coeur, mais il est vrais que c’est une des rares théories que j’avais trouvé lumineuse en informatique (comprenez par là une des rares que je n’aurais pu trouver tout seul, car avouons que l’informatique est une matière où beaucoup de choses qu’on nous enseigne sont triviales).

Le film que j’ai vu hier traitait de l’autre facette de Noam Chomsky : le philosophe/intellectuel. Le tout [mais ça y est, je commence à y être habitué] dans une salle pleine à craquer. Chose que je ne savais pas, c’est que ce bonhomme est très populaire… Il est connu principalement pour :

  • la façon dont il décortique les mécanismes utilisés (inconsciemment, en croyant être intègres) par les journalistes pour manier les opinons publiques,
  • la façon dont les grandes multinationales utilisent/construisent des leaders d’opinion, ou font des campagnes d’information (avec l’aide des sociétés de « public relations« ) pour faire passer des idées comme « standards » alors qu’elles ne le sont pas naturellement,
  • sa défense inconditionnelle de la liberté d’expression (idée reprise des philosophes des lumières), tant que les propos n’invitent pas directement au meurtre. Ceci a été source de polémique le concernant. Par exemple, il a signé une pétition pour défendre le droit du négationniste Robert Faurisson à nier l’existence des chambres à gaz. Son idée : ça n’est pas parce qu’on soutient une personne à exprimer des idées que pour autant, on est d’accord avec les idées exprimées. Un peu comme Voltaire à qui on attribue la phrase << je déteste vos idées, mais je suis prêt à mourir pour votre droit de les exprimer >> (moi je dis qu’on ne combat pas des idées en bâillonnant leurs auteurs, ce qui n’est pas si loin).

Bon, et le film dans tout ça ? Au moins, il a le mérite d’exister. Il permet de faire découvrir l’intellectuel Chomsky sous toutes ses facettes. Via des interviews, mais aussi en interrogeant d’autres intellectuels qui sont dans la même lignée de pensée. Techniquement, ce film n’est pas une superproduction hollywoodienne. Et sur la forme, ma conclusion sera exactement la même que celle de l’animateur des débats qui ont suivi la projection (en photo ci-contre — floue en plus, mobile de merd£%§ –, qu’il m’excuse, j’ai oublié son nom). Le film souffre de quelques défauts, parmi lesquels :

  • tout d’abord, Chomsky explique que les grands leaders d’opinion utilisent la peur des gens pour les manipuler (toute ressemblance avec des évènements réels liés à l’idée de l’existence d’armes de destruction massive etc. etc.). Or, le film utilise lui aussi les mêmes ficelles (images troublantes de morts dont personne n’a parlé), ce qui n’est pas plus fin ;
  • de plus, le film interroge des journalistes (habillés comme des pingouins) le jour d’un évènement officiel pour leur demander s’ils pensent exercer leur métier librement. Évidemment, aucun ne dira non. Il eut été plus judicieux et de les interviewer en d’autres circonstances, et leur demander pourquoi ils parlent autant de tels évènements, et pas de tels autres (ou demander à Arlette Chabot pourquoi elle dit « évidemment, on reçoit parfois des pressions, mais peut tout à fait ne pas y répondre« , sous-entendu que parfois, ils y répondent ???). Par exemple, en son temps, les médias ont abondamment parlé du Cambodge avec le génocide [horrible il est vrai] réalisé par les khmer rouges, alors que personne n’a parlé des massacres du Timore oriental en 1999, qui est un évènement équivalent [tout aussi horrible], et qui a fait proportionnellement dans la population bien plus de morts (seulement, le premier massacre était soutenu par les communistes, le second, parce qu’ils leur avaient vendu des armes, aidait la politique des Etats-Unis). Plus récemment, je me demande pourquoi il a fallu que les massacres soient terminés pour qu’on parle enfin du Darfour ou de la République du Congo (4 millions de morts tout de même !!!). Je mets ma main au feu que les mêmes évènements avec 100 fois moins de morts en Iran auraient fait la une des journaux du monde entier….

Le débat qui a suivi le film était lui aussi intéressant :

  • l’occasion de se poser la question « pourquoi Chomsy, qui ne défend pas la théorie du complot — au contraire, il dit qu’il n’y a pas besoin d’une formation occulte organisée pour expliquer que les choses sont ce qu’elles sont –, qui ne défend pas ouvertement une politique ou un parti — même si tout le monde aura compris qu’il était plutôt gauchiste, voulant que les moyens de production appartiennent à ceux qui produisent — a pu être autant décrié, source d’autant de polémiques ? » ;
  • l’occasion de rappeler que pour défendre une liberté d’expression inconditionnelle, il fallait l’accompagner d’un enseignement à décrypter/analyser les idées que chacun pourra véhiculer (on regrettera l’absence d’une telle matière dans les programmes de l’éducation nationale) ;
  • enfin, l’animateur (décidément, c’est ballot d’avoir oublié son nom) m’a éclairé sur une de mes récurrentes questions. Sachant que je connais beaucoup de gens qui se moquent totalement de la politique, de la philosophie, bref, qui ne veulent pas réfléchir au delà de la question « qui sera le prochain à sortir du château de la Star Ac’« , est-il ne notre devoir de les inviter à plancher sur d’autres thèmes moins bling-bling ? La réponse de cet animateur était intéressante : si ces personnes jouent un rôle dans notre avenir (au travers leurs actions, l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants, etc.), si le poids du billet que ces personnes glissent dans les urnes est le même que le poids de mon billet, alors oui, il est de notre devoir de citoyen, d’être humain, à les inviter à réfléchir. Je trouve que cette phrase est une belle conclusion…

Nb: à suivre dans les programmes du Caméo de la première quinzaine de décembre deux soirées qui me semblent bien intéressantes : une sur le Pr Choron, une autre sur la crise économique/financière que nous traversons. Je suppose que j’aurai l’occasion de vous en reparler.

download Fond musical : Marco Beltrami – Chines Democracy : thème découvert récemment grâce à la tubular mailing list

Commentaire

Chomsky et compagnie — 7 commentaires

  1. @Celine: Oui !!! Pierre Christophe… C’est ça ! Merci++ 🙂 C’est qu’il m’a semblé très bien cet homme, ses cours devaient être sympa, tu as de la chance…

  2. Ahhhh, « les machines de Turing à mémoire finie » : à ton avis, je pourrais en mettre une dans mon salon, pour décorer ?

  3. @Dramelay: bon, si c’est vraiment pour décorer, d’accord (Nb: ne le répète à personne, mais un PC est une machine de turing à mémoire finie… d’ailleurs, tous les microprocesseurs que tu vois fonctionnent suivant ce principe, mais chuuuuut, c’est un secret 😉 ).

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