Du devenir de la presse…
« Je m’appelle Paul Kerjean. Profession : grand reporter. Un titre pompeux que l’on nous donne parce que nous sommes là où le monde bouge, là où les hommes se battent, et meurent. Ce soir, je suis un rescapé de la plus impitoyable des guerres, la guerre économique, où les généraux sont en costume rayé de bonne coupe, et leur arme, un attaché-case de bon goût. […] ». Ce texte est l’introduction de l’article écrit in fine par le héros du film 1000 milliards de dollars. Et si vous voulez une confession : très longtemps, j’y ai cru.
J’ai eu fois en cette presse libre, indépendante. Celle qui a permis aux « 343 salopes » de diffuser leur manifeste, qui a certainement joué un rôle capital dans la légalisation de l’avortement. Celle qui publiait le « Combat pour la libération de la femme », faisant ainsi connaître au public le MLF. Elle existait aussi dans d’autres pays démocratiques. Le « Watergate » ne serait resté qu’un nom d’immeuble sans autre connotation, et le petit cafouillage d’un cambriolage qui avait mal tourné au sein des locaux du parti démocratique ne serait resté qu’au rang de fait divers sans le travail fait par les journalistes du Washington Post.
Désolé pour ces exemples, qui datent tous des années 70 (que voulez-vous, on est tous le fruit de son enfance, je parle donc des faits qui m’ont marqués tout petit). Pour autant, qu’en est-il aujourd’hui ? Cette presse héroïque existe-t-elle encore ? Le Nouvel Obs, qui publiait les 343 salopes au siècle dernier, laisse maintenant entrer dans les pages des publicités contre l’avortement. L’Idiot international a disparu de nos kiosques. Quant au Washington Post, même Wikipedia ne relate plus d’article sulfureux depuis la publication des papiers du Pentagone et l’affaire du Watergate. Aussi, je vous pose la question : quel journal aujourd’hui aurait l’aura de L’Aurore ? Où Zola devrait-il publier son J’accuse pour être entendu ?
À ce jour, le président de France Télévision est toujours nommé par le Chef de l’État. Le JT des chaînes privées (avec leur format prédéfini, toujours le même quelle que soit l’actu) est guère plus indépendant, pas plus que la presse écrite. Ces médias sont possédés par une poignée de groupes (Lagardère, Bouygues, Dassault, Hersant…), dont le lobbying auprès de l’état et des finances ne fait pas de doute. Et quand on voit que la figure emblématique du menteur et du profiteur des années 80 rachète La Provence… CQFD.
Le plus drôle dans tout ça, c’est qu’il n’y a pas besoin de faire appel à la théorie du complot pour expliquer le déclin de ce droit fondamental de la liberté de la presse. Comme l’explique si bien Noam Chomsky, les journalistes s’auto-censurent, la plupart du temps de façon inconsciente. Ceux qui sont recrutés sont toujours ceux qui « rentrent dans le moule ». Et il faut vendre du papier, mais plus encore, il faut vendre de la pub. Alors, la plupart des journaux n’enquêtent plus. Ils n’ont d’ailleurs plus les moyens pour ça. Les grands reporters sont remplacés par des pigistes. Ils ne sont plus payés que pour remettre en forme les dépêches des agences de presse. Et leur seul travail d’investigation se limite à courir faire des interviews sur des sujets sensationnalistes : un violeur récidiviste par ici, un vol de bébé par là, grande enquête sur les fraudeurs aux avantages sociaux et une autre sur la délinquance dans les « quartiers »… c’est simple, ça fait peur donc ça fait vendre, ça joue sur l’émotionnel, très bon catalyseur de la mémoire, ce qui est bon pour la pub. Sans compter que ce sont toujours de bons sujets porteurs de débats stériles pour nos politiques qui, pendant qu’ils parlent de ça, ne traitent pas les sujets de fond.
Quel est alors l’avenir de notre liberté d’expression ? Il passe peut-être par l’existence de quelques médias encore indépendants (Mediapart ?), et peut-être aussi par nous. Par notre volontée affichée de ne pas gober tout cru cette pensée unique qui coule des médias « modernes », mais aussi par nos blogs, nos propres enquêtes, nos propres sujets sur les « médias sociaux », nos tweets…
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